Rashieka

Rashieka est née un jour de tempête. Au loin grondait furieusement le tonnerre, faisant échos aux hurlements déchirant de sa mère. Et lorsqu’enfin son petit corps frêle épousa le sol mousseux, la pluie déferla. Les cieux pleuraient la perte de la souveraine.. Maintes fois, on lui conta la détresse de son père, l’affliction de tout un peuple. Et ce poids pesa à jamais sur la conscience de la petite princesse. A peine née, elle avait déjà tué.

Pourtant, loin de la rejeter, son père la couvrît d’amour. Le froid, l’insensible Klegane reporta toute la tendresse qu’il avait éprouvé pour sa mère sur son espiègle enfant. «  Sa petite fée », comme il se plaisait à l’appeler. Ainsi, malgré le tragique évènement qui entachait sa naissance, la princesse connût une enfance dorée. Elle passait son temps au côté de son père, les yeux scintillant d’admiration pour le majestueux monarque. Mais si elle adorait le suivre dans ses activités royales, rien ne lui plaisait plus que les histoires qu’il lui contait, une fois la nuit tombée. Il y était question d’elfes et de licornes, d’esprit hantant la forêt… C’est ainsi que la petite apprît l’histoire de sa dynastie,  qui régnait sur les plaines et forêts du pays depuis des siècles. Et le nom de ses illustres ancêtres berça son enfance, que ce soit Arya la cruelle ou Salim le bon. Mais le personnage que la petite Rashieka affectionnait le plus était sans doute Jenifaël, la fondatrice de sa lignée. Première Reine de son sang, régnant à à l’aube des temps, lorsque la contrée était encore une terre sauvage.

La petite princesse grandît donc dans un monde de dentelle, couvée par son père et ses futurs sujets. Son avenir semblait tout tracé : elle succéderait à son père à la tête du royaule, épouserait un haut-dignitaire d’un autre clan –sans doute Helrion pour consolider leur alliance- et perpétuerait sa lignée. Mais un évènement inattendu vînt menacer les plans de son géniteur. A l’âge de 4 ans, Rashieka fît une rencontre qui bouleversa sa vie. Ellendril. Un vagabond venu de contrée lointaine. La demoiselle se méfia d’abord de lui mais fût vite charmée par ses yeux de velours et sa voix de miel. Et bientôt, le bel hidalgo lui ravît son cœur. De ses paroles doucereuses, il l’encouragea à la suivre, à abandonner son lourd héritage pour parcourir le monde en sa compagnie. Comment résister à pareil offre ? Malgré toute ses réticences, l’étranger fini par faire ployer la demoiselle. Et le jour de leur grand départ arriva. L’ambrée quitta son amant à l’aube, lui donnant rendez-vous au crépuscule pour entamer leur long périple.  Mais les siens n’acceptaient pas aisément les étrangers, encore moins lorsque ceci provenaient du Sud. Et son père, se méfiant de ce parasite qui tournait autour de sa fille, ne tarda pas à découvrir qu’il s’agissait en fait d’un agent, chargé de la ravir. Furieux, Klegane  défia le traître en combat singulier, tandis que sa fille s’était absentée. Ellendril se battit bien. Il était agile et rusé. Mais il ne pouvait égaler Klegane. Ce dernier assena un coup fatal au fourbe, qui réussît miraculeusement à se traîner dans les bois. Pendant ce temps, la nouvelle du combat arriva jusqu’aux oreilles de Rashieka, qui se jeta à la poursuite du traître. Elle  parvînt à le rattraper non loin de la frontière sud du royaume. Ou du moins trouva-t-elle son cadavre.

Rancoeur. Colère. Amertume. La petite princesse était tiraillée entre ces divers sentiments. Mais elle ne pouvait occulter l’amour qu’elle continuait à porter au défunt. Traître ou pas, il avait été son premier amour. Abattue, l’Amazone se laisse donc choir non loin de lui, et pleura tout son soûl. Tout à sa peine, elle n’entendît pas une meute de loup l’encercler sournoisement. Et lorsqu’enfin elle prît conscience du piège, il était trop tard… Les prédateurs l’attaquèrent. Et l’héritière lutta vaillamment, tuant nombre d’agresseurs. Mais, malgré ses efforts, le combat tournait désespérément en faveur des prédateurs. Ils étaient bien trop nombreux pour elle.  Alors que Rashieka réalisait cette terrible vérité, le chef de la meute, un immense loup noir, bondît sur elle. Se sachant vaincue, l’alezane ferma les yeux, prête à rencontrer l’Ange de la Mort. Mais jamais ses crocs ne mordirent sa chaire. 
Tremblante, elle rouvrît ses paupières. Et c’est stupéfaite qu’elle découvrît un escadron de la garde royale prendre part au combat et au centre de sa clairière, son père, agonisant. Il s’était interposé entre elle et la bête. Offrant sa vie pour protéger la sienne. Eplorée, elle tomba à genoux prêt de son père, qui lui murmura avant de rendre son dernier souffle «  Protège-les Rashieka. Protège-les... ». Et c’est sur ces dernières paroles que s’éteignît Klegane, 15e roi du royaume d'Emeraude. « Le Roi est mort, vive la Reine ! » s’écrièrent aussitôt les gardes. Et, c’est ainsi que débuta le règne de Rashieka, l’Amazone. Une âme meurtrie couronnée alors même que le pacte qui unissait le pays volait en éclat et que jamais la paix du continent n'avait été aussi instable...

Les mois passèrent et l'acajou se fît bientôt à son nouveau rang, au point d'être respectée de tous les souverains du royaume. Ainsi, à travers les eaux troubles de la politique, l'alezane se fît rapidement une place...au point de s'en épuiser et d'oublier tout le reste. Et, lorsqu'une vague d'assassinats vînt ébranler sa contrée, l'alezane se jeta à corps perdu dans ses fonctions, au point de s'oublier et de négliger Namibian, son plus fidèle soutien. Ce dernier finit d'ailleurs par la quitter suite à un entretien plus qu'houleux... et devînt le roi des Mers- contrée ennemie du peuple de la forêt. Cette trahison, bien plus que les assassinats à répétition, porta un coup à Rashieka, qui ne s'en ait jamais réellement relevée. Et, alors même qu'elle venait de répudier le palomino, un terrible cataclysme s’abattît sur le pays. La terre devînt cendre et sa chère forêt, un tas de ruine. Quant à son peuple, il fût décimé, brûlé vif au cœur de l'imposante forteresse de jade. Chassée de force de ses terres chéries, anéantie et erreintée, la Dame n'eût d'autre choix que de quitter la terre de ces ancêtres. Elle ne sût d'ailleurs jamais comment elle arriva sur les terres de Falona Synae, plus morte que vive, le cœur en berne. Elle n'avait jamais revu Namibian, elle n'avait jamais pu lui dire qu'elle le pardonnait... Et à présent, il était sans doute mort. Mort, comme tout les autres...Et cela, plus que la perte de son trône, lui mine le cœur.